Les Français sont la solution à la crise actuelle, à condition qu’on cesse de leur mentir et qu’on leur fasse confiance.
En cette fin d’année crépusculaire, la France retourne deux ans en arrière. Emmanuel Macron l’a ramenée dans l’état où son Ementor, François Hollande, l’avait abandonnée : une nation en lambeaux cumulant une économie à l’arrêt, la montée de la haine sociale, une menace terroriste endémique dont l’intensité est tragiquement illustrée par l’attentat de Strasbourg, la désintégration du système politique et la perspective d’une victoire annoncée du populisme.
La jacquerie des « gilets jaunes », enfants du dégagisme et de la verticalité du pouvoir chers à Emmanuel Macron, est en partie enrayée. Mais non pas la crise politique dans ses quatre dimensions. La cascade des revendications, qui s’étend aux forces de sécurité, et la permanence des violences, qui témoignent de l’incapacité de rétablir l’ordre.
L’insurrection nihiliste des Français contre l’État, ses dirigeants, ses normes et ses taxes donne corps à la prédiction de Friedrich von Hayek : « Tôt ou tard, les gens découvrirons que non seulement ils sont à la merci de nouvelles castes privilégiées mais que la machinerie paragouvernementale, excroissance nécessaire de l’État tutélaire, est en train de créer une impasse en empêchant la société d’effectuer les adaptations qui, dans un monde mouvant, sont indispensables pour maintenir le niveau de vie. » La France aborde ainsi 2019 sous un jour noir. Face à la double impasse de la modernisation du modèle français et de la refondation de l’Union, la tentation est grande de désespérer. Il faut la conjurer car le basculement de la France dans le chaos amorcerait la désintégration de l’Europe pour le plus grand profit des démocratures russe et turque, qui ne manquent aucune occasion d’attiser les colères et de conforter les mouvements populistes.
Les moments de grands périls peuvent aussi porter des chances de salut. Il est possible de trouver une issue à la spirale prérévolutionnaire qui menace la France, de la remettre sur le chemin du progrès et de restaurer la paix civile. Plus la situation est confuse, plus il faut l’aborder avec des idées claires. D’une part, une crise politique ne se dénoue que par une sortie politique, et non par un inventaire à la Prévert de mesures hétéroclites. D’autre part, la réponse procédurale à travers une consultation nationale est inopérante pour répondre à un désarroi existentiel, comme le rappelle le fiasco des conventions citoyennes sur l’Europe. En outre, l’onde de choc qui parcourt la France comme les bouleversements du monde invalident le programme présidentiel de 2017, imposant d’imaginer des solutions neuves. Présider, a fortiori dans les moments où l’histoire bascule, c’est choisir et non pas cultiver l’ambiguïté délétère du « en même temps ».
Dès lors, l’ultime et fragile chance de réformer la France et de rétablissement d’Emmanuel Macron ne passe pas par l’accélération d’une stratégie mort-née, mais par un aggiornamento radical de son projet et de son mode d’exercice du pouvoir. La priorité absolue doit être donnée à la reconstruction de la France, qui constitue aujourd’hui le meilleur moyen de servir l’idée européenne. Et ce, autour de six pactes.
Un pacte économique et social répondant à la mondialisation et à la révolution numérique par la stabilisation de la classe moyenne et l’intégration de la jeunesse, au lieu de continuer à distribuer du pouvoir d’achat fictif à travers l’augmentation suicidaire de la dette publique. Un pacte territorial fondé sur la réforme de l’État et la décentralisation, qu’il est impératif d’accélérer et non pas de contrarier, tant on n’administre bien que de près. Un pacte républicain garantissant l’accès effectif à des services publics de qualité en tout point du territoire, avec une urgence particulière en matière d’éducation, de santé et de couverture 4G – condition préalable au basculement vers une administration digitale. Un pacte citoyen avec le rétablissement des contre-pouvoirs et le recours à des conférences de consensus qui doivent être préférées au référendum. Un pacte de sécurité, qui constitue le premier des droits de l’homme, fondé sur un réinvestissement massif dans l’État régalien. Un pacte de responsabilité entre le président et les Français. À Emmanuel Macron de renouveler son entourage et son gouvernement mais surtout de changer l’état d’esprit d’une secte de zélateurs « trop intelligents, trop subtils, trop techniques » pour être compris de leurs concitoyens. Aux Français de redonner une chance à Emmanuel Macron et de refuser l’engrenage des passions collectives.
Alexis de Tocqueville soulignait déjà que « si les Français qui firent la Révolution étaient plus incrédules que nous en fait de religion, il leur restait du moins une croyance admirable qui nous manque : ils croyaient en eux-mêmes ». Jupiter et son État vertical ne sont pas la solution mais le problème. Les Français sont la solution, à condition qu’on cesse de leur mentir et qu’on leur fasse confiance.
(Chronique parue dans Le Figaro du 24 décembre 2018)